GILLES LAPOUGE, VOYAGEUR SANS VOYAGE

Il m’est difficile d’écrire sur Gilles Lapouge – et de dire du bien de son œuvre – car c’est ami et en plus d’avoir lu tous ses livres, je les relis souvent et les aime davantage. Nous nous sommes rencontrés, il y a presque longtemps, lors d’une cérémonie en son honneur dans la grande bibliothèque d’une ville de province. Gille Lapouge venait recevoir un prix littéraire pour un livre magnifique, Le Bruit de la neige  et c’était l’hiver. Il faisait nuit et froid et pourtant il n’est pas neigé ce soir-là. La météo fut capricieuse avec l’un de ses plus fidèles observateurs. Après un long repas où il fut question, en un joyeux désordre, de Bélem et des piranhas, de légendes islandaises ou de Roger Caillois, de Knut Hamsun ou de l’opéra de Manaus, nous fîmes quelques qui se prolongèrent pas dans la ville endormie, en continuant à épuiser les sujets. Avec modestie et une érudition joyeuses, Gilles Lapouge dissertait en chuchotant, glissant ça et là des phrases légères aux allures de citation. Je me réjouissais de marcher avec un écrivain vivant. Oui, il existe des écrivains vivants. Amis lecteurs, je vous emmène. Faisons quelques pas et bavardons avec Gilles Lapouge. Les petits bouts de chemins peuvent mener très loin…

Ecrivain-voyageur ?

Si vous fréquentez le festival « Etonnants voyageurs », à Saint-Malo, vous croiserez sans doute Gilles Lapouge marchant avec nonchalance au détour d’une allée et sourire en coin. Arrêtez-vous et bavardez avec lui. Mais ne cherchez pas à établir la conversation avec « l’écrivain-voyageur. » Notre homme est écrivain tout court. C’est bien assez et c’est déjà beaucoup. Il n’aime guère les étiquettes, à commencer par celle-ci. L’auteur des Equinoxiales ou de L’Incendie de Copenhague a bien vécu au Brésil – où il fut journaliste – a joué la fille de direction l’Islande en hiver, a traversé l’Afrique, et pourtant, il se défend d’être un nomade ou un pérégrin. Dans La Maison des lettres, l’écrivain-casanier et primesautier passe aux aveux :  « je n’ai jamais voulu voyager. Je ne connais pas l’Europe par exemple. Pas du tout. Alors que j’aurais pu voyager en Europe, ça me plairait. Une mappemonde de l’Europe, vous connaissez quelque chose de plus beaux ? Non ! La Suisse, le lac Léman  ça vaut toutes les amazones, toutes les Volgas et tous les Mississippis. (…) Il ne me viendrait pas à l’idée de me mettre en chemin pour les Pouilles, pour Venise, pour Bratislava ou pour Montreux. Il y a une seule exception : j’aimerais faire un voyage en Poméranie, mais je ne sais pas pourquoi. C’est le nom. (…) Vous voyez, je ne suis pas un gros voyageur. Et en plus, quand je me bouge, c’est maladroitement. »
Vous l’aurez deviné, Gilles Lapouge, même si il s’en défend a peut-être voyagé beaucoup mieux que certains voyageurs. En faisant du « sur place », il raconte l’histoire et la géographie, affirmant tout de go, que l’Histoire C’est la géographie. Alors il musarde, invente à sa guise, écrit sur Les Pirates ou les frontières improbables, et affirme que : « dès ses premières tentatives, la géographie est affamée de mensonges. Elle s’en gave. C’est une de ses matières préférées. À l’égal des poètes, les voyageurs sont des affabulateurs. L’imposture est leur régal, leur vanité est l’instrument de leur pouvoir. » et il poursuit, taquin et cocasse : « On sait aujourd’hui, après les études de l’université de Stanford, que l’accent marseillais n’existe pas ; Les Marseillais, du moins les vrais, ont l’accent marseillais mais ils font semblant d’avoir l’accent marseillais pour faire croire qu’ils ont l’accent marseillais. »
Je vous l’ai dit, un écrivain comme ça mérite qu’on l’arrête – quand il marche, s’entend – que l’on fasse quelques pas en sa compagnie et qu’on l’écoute mentir à son tour.

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La Légende de La géographie.

« Les anciens géographes sont des musiciens, des poètes, des géomètres et des grammairiens, des horlogers qui voient sur la terre comme au ciel des alexandrins, des rimes, des ablatifs absolus, des règles du tiers exclus, des syllogismes, des cercles, des rondeaux et des sonnets,des nominatifs et des concordance des temps. »
Le ton est donnée. Dans son nouveau livre, Gilles Lapouge, prend le monde en otage et remonte son cours à contre-courant. Il convoque les cartographes et les navigateurs, Coronelli ou Rimbaud – le voyageur insatiable aux poches trouées – Hérodote et Napoléon. Devant la géographie, Gille Lapouge ne se laisse ni corrompre, ni convaincre. Au contraire, en enfant, en flâneur, il lui tord le cou, l’invente à sa guise ou la réinvente. Il sait qu’elle est mirage et boniment. Alors il la fait sienne : « la découverte de la terre est un jeu de colin-maillard. Géographes et historiens avancent les yeux bandés ; pas étonnant qu’ils ne tombent jamais sur le bon coin. (…) comme ils se paument tout le temps, ils recensent passionnément les envers du monde. Chaque bévue ajoute un détail à leur atlas. »
Il y a souvent de quoi être jaloux  devant ces phrases qui ressemblent à des bulles de savon dans la lumière, venant se poser à l’endroit exacte, et ce sans jamais disparaître. Gilles Lapouge est là tout entier, avec ce maniérisme magnifique (entendons le au sens raffiné, que l’on peut aussi appeler « le style » ; et que l’auteur doit prendre comme un compliment), avec ces phrases simples, singulières et poétiques qui n’appartiennent qu’à lui. Assurément, avec ou sans voyage, Gilles Lapouge est un – grand – écrivain !

La Maison des lettres.

Et parce qu’un bonheur n’arrive jamais seul, les lecteurs curieux et séduits pourront poursuivre le voyage avec La Maison des lettres, un passionnant livre d’entretiens entre Gilles Lapouge et Christophe Mercier. De son enfance en Algérie, en passant par cinquante ans de journalisme et jusqu’à ses derniers romans, l’auteur se dévoile avec humour et rappelle une nouvelle fois son amour de la littérature. Il rend hommage à Maurice Nadeau et à La Quinzaine littéraire, s’incline devant Giono ou Stendhal, rend hommage aux amis – nombreux ! – et dit tout le bien qu’il pense des abeilles et des ânes… Enfin il avoue qu’il est « plus intéressé par le brillant, la drôlerie, la légèreté, ou même la poésie, d’un article que par la solidité des théories qui y sont proclamées. » Encore un joli programme !
Gilles Lapouge est un farceur et, ne lui en déplaise, un sacré voyageur possédant un sacré bagage…

La Légende de La géographie, de Gilles Lapouge (Albin-Michel)

La Maison des lettres, de Gilles Lapouge, conversation avec Christophe Mercier (éditions Phébus)

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 Photographies de Gil Roy ©

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