Dans un grenier grand parental, une page déchirée s’était imposée ma rêverie. Un dessin, jauni, un peu cuit, représentait un trois mats fantomatique aux prises avec les terres froides et les mer de glace ; immobilisé comme le sont les mouettes victimes des boues noires. Le vaisseau fantôme questionnait, m’appelait à l’aide. Aujourd’hui encore, je ne sais pas comment faire pour qu’il reprenne sa route. Sous le dessin il y avait cette légende : « Lorsqu’enfin le jour se leva les occupants de La Flore constatèrent que le champ de glace étendait à perte de vue ». La Flore était prisonnière à jamais, et je n’ai jamais su de quel livre avait dérivé le navire.
Aujourd’hui encore, je cherche démobiliser. J’ai tout essayé, pour faire fondre la glace ; réussirai-je un jour à délivrer mon fantôme ?
Il me semble qu’à chaque fois les glaces reforment. Alors je continue. J’invente. Mon navire de papier me permet de vérifier que j’ai raison de vouloir d’imaginer, et mettre à mal les certitudes.
Extraits de Nuit(s), Folie, fantômes & quelques masques, éditions Les Venterniers