Peter Pan ou Essai sur la biblionomadie appliquée à l’égard des magiciens de grand chemin
Par François Bétremieux *
C’est cette fois au tour du fondateur de l’atelier des curiosités « Des mots, des Pas & des curiosités », Éric Poindron, de s’installer dans le fauteuil de l’invité d’honneur afin de revenir sur son parcours et son oeuvre. Rodolphe Trouilleux et moi-même – ses amis et lecteurs – sommes les enquêteurs et suivons les traces champenoises, cévenoles et parisiennes de l’auteur.
Soirée « Des Mots, des Pas & des Curiosités » autour de Stevenson et de l’égarement à travers les livres, avec François Bétrémieux, Eric Poindron & Rodolphe Trouilleux
C’est sous ses Belles étoiles (Flammarion, 2001) que le conteur nous convie. Dans cet ouvrage, il revient sur sa ballade dans les Cévennes, à la rencontre de Stevenson. Comme l’écrivain écossais, à 28 ans, il a pris son bâton de pèlerin, pour explorer le sud de la France. Celui qui se définit comme un « provincial, avec des curés, à boire de la soupe électrique : de la poudre avec de l’eau », habitait pourtant la capitale avant son départ. Mais pourquoi l’avoir quittée ? « Pour me tirer de Paris. Après mon livre Riccardo Freda, un pirate à la caméra (Actes Sud, 1995), je voulais partir car j’avais une camisole d’écrivain du cinéma. Stevenson disai t: “Le dehors guérit ”. Lui a tout exploré (…) Ce livre n’est pas un roman, ni un récit de voyage. Chaque fois que j’édite un livre, c’est pour qu’il y ait un homme derrière. L’histoire du cinéma, je m’en fiche. Celle de la littérature aussi. » À la grande histoire de la littérature, il préfère mettre en lumière les oubliés, les « perdus de vue ». Ce n’est pas tant l’oeuvre qui compte, c’est la personne qui l’a façonnée.
Belles étoiles n’est pas une biographie de Stevenson, même s’il s’agit d’un hommage, l’auteur de L’Étrange cas du docteur Jekyll et Mister Hyde traverse les pages comme un prétexte. Un prétexte aux rencontres. Le livre est ainsi habité par plusieurs personnages : Selma la yéménite, Lucifugus Merklen, Daniel l’ami de voyage et surtout une ânesse (lire Belles étoiles nous fait comprendre son importance). Éric nous apprend que Selma était une amie de Doisneau, Giraud et toute la bande. Et quant à Merklen? « C’était un riche assureur, ami du sculpteur Gérard Lardeur. Il a viré sa vie pour se tirer en province. Il a par notamment transformé une boucherie en boucherie humaine et a travaillé sur un piège à humain (…) Ce livre est extrêmement ethnographique. Je me baladais comme un gamin. Tout m’amuse, un Paris-Reims en train par exemple. À Le Monastier-sur Gazeille, être dans une rue fantôme me plaisait. Les plus belles rencontres du livre sont celles que j’ai inventées. »
Mystification, supercherie,trompe-l’oeil, illusion: autant de termes pour qualifier l’oeuvre de l’auteur de Mystères, diableries et merveilles en Champagne-Ardennes et dans le reste du monde (éditions du Coq à l’âne, 1999), qui écrit à la manière de Cendrars, mêlant réel, vécu, imaginé, fantasmé. Cet aspect de son écriture est d’ailleurs le thème de la deuxième partie de l’atelier. Sensible aux légendes, aux contes ou encore aux fantômes, le directeur de la collection «Curiosa & caetera » aux éditions du Castor Astral se charge de traquer l’insolite, le curieux, les éloignés des bibliothèques classiques: « Érudit est un mot qui m’a toujours intéressé. Depuis que je suis enfant je me dis que je veux être érudit ». Cette attitude s’illustre parfaitement dans De l’Égarement à travers les livres (Le Castor Astral, 2011) : l’auteur y emploie son érudition pour s’amuser à perdre le lecteur avec des auteurs, des livres et des rumeurs existants ou non. L’écrivain parle avec l’assistance la figure mythique des enfants sauvages, décrite dans le livre au titre éponyme de Lucien Malson (10/18, 2002). L’enfant sauvage fascine les hommes et les force à poser cette question essentielle: qu’est-ce qu’un homme ? Cette question anime le journal tenu par le docteur Jean Itard, chargé de “socialiser” Victor de l’Aveyron – un enfant trouvé dans une forêt en 1799.
Au cours de la soirée, Éric Poindron a ouvert son cabinet de curiosités à une assemblée ravie, pour évoquer ce qui l’attire et l’anime. Les péripéties du naturaliste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire pour ramener de Marseille à Paris la première girafe débarquée en France sont ainsi arrivées à nos oreilles avec force détails et engouement. Une histoire fabuleuse parmi tant d’autres au cours de cette soirée, Éric Poindron nous a menés hors des sentiers battus pour nous en mettre plein la vue (il aime à dire que la vie est un spectacle).
Il faut dire que ce rétif du monotone arpente les marges à l’envie. Il se projette dans l’inédit, part à la rencontre de ce qu’il n’a pas encore vécu. En témoigne la parution prochaine de son livre chez les Venterniers, une maison d’édition aux livres faits main: Le Collectionneur de Providence ou Petit Traité de crânophilie (Venterniers, 2013).
Cette soif de découvertes n’a d’égale que sa générosité. Son besoin de partage. Il tire un mode de vie de ses rencontres, de ce monde qui devient centre d’intérêt. Telle pourrait être l’attitude à retenir d’une soirée passée en compagnie d’Éric Poindron. Pour l’anecdote, celui qui veut apprendre sans cesse dit parfois que s’il avait eu Internet enfant, il n’aurait jamais déconnecté. On le croit sans peine. Surtout lorsque l’on assiste aux ateliers des curiosités chaque semaine, lieu de tous les possibles, de philanthropie s’il en est.
Éric Poindron use de la métaphore de transfusions faites les uns aux autres pour décrire ce rendez-vous hebdomadaire. Et voilà comment, moi, je le décrirai : affabulateur, poète, maraudeur, rabelaisien, fou, vagabond, magicien, champenois, franc, avisé, noctambule, passionnant, amateur de livres, de plus ou moins belles histoires, farfadet, pirate, habitant du pays des merveilles, lecteur insatiable, rêveur, filou, amuseur public, conteur hors pair, complice de John B. Frogg, un peu Peter Pan… Mais je songe aussi, en finissant le portrait de mon ami, à son créateur, James Matthew Barrie, qui affirmait « Ceux qui ensoleillent la vie des autres éclairent également leur propre existence. »
Ouvrages évoqués durant la soirée
Belles étoiles (Flammarion, 2001)
Mystères, diableries et merveilles en Champagne-Ardennes et dans le reste du monde (éditions du Coq à l’âne, 1999)
De l’Égarement à travers les livres (Le Castor Astral, 2011)
Le Collectionneur de Providence ou Petit Traité de crânophilie d’Éric Poindron (Venterniers, 2013)
Liste non exhaustive de personnages et de livres évoqués :
– La bête du Gévaudan : dite la «dévorace»
– Henry James
– Naguib Mahfouz
– Nicolas Edmé Restif de la Bretonne
– Lewis Carroll & Alice au pays des merveilles
– Lovecraft
– Truffaut & L’enfant sauvage
Sans oublier tous les autres…
* François Bétremieux est le créateur et l’animateur du blog réjouissant L’ENGOUEMENT DE LA PUCE à découvrir ICI
© François Bétremieux & L’Engouement de la puce
« DES MOTS, DES PAS & DES CURIOSITÉS »
Avis aux curieux inspirés, aux amateurs de littérature, d’art sous toutes ses formes et de rencontre rares, chaque semaine, à Paris, le mercredi ou jeudi, de 19 h 30 à minuit – et plus -, Eric Poindron reçoit dans un lieu privé un créateur et un « honnête homme » (écrivain, éditeur, journaliste, critique littéraire, artiste, plasticien, peintre, sculpteur, musicien, magicien, voyageur ou personnage surprise).
Quatre heures, et souvent, plus entrecoupées par une pause dînatoire. Un moment rare et précieux pour les collectionneurs de découvertes.
Renseignements, explications et programme auprès de Eric Poindron : coqalane@wanadoo.fr ou 06 40 21 19 56