La tectonique des nuages un miracle absolu et toute bibliothèque ne possédant pas ce livre est une bibliothèque incomplète.
« Il y a moins d’étoiles au ciel que de sujets de livres dans le monde. La plupart ne brilleront jamais. Ils passent, comme des nuages, changent, disparaissent, tandis que d’autres se forment. Quelques-uns tardent à se dissiper, s’imposent, gagnent substance. Un texte qui suivrait leur cours en s’abandonnant à ce qui vient ou au hasard des circonstances comme les nuages au gré des vents aiderait-il à se perdre ou à se trouver ? Ici, du moins, en associant une expérience personnelle ou un souvenir à une réflexion générale, suivrai-je moi aussi une tectonique des nuages, de l’inconstance et du vagabondage, comme il y a une tectonique des plaques, une dérive des continents, un flux des océans, des idées et des mots, et puisqu’on n’accorde généralement aux nuages qu’un coup d’œil, dans un but utilitaire, et souvent pour se plaindre d’en voir, il me plaît de commencer en réparant cette injustice.
Aussi étranges que des fantômes qui vivent sans exister, rétifs aux catégories par quoi l’homme tente d’appréhender la réalité, plus simples et pourtant plus complexes que ne le voudrait sa logique, des multitudes énigmatiques parcourent les lieux où nous vivons, nous qui aimons dresser des listes, distinguer des classes, décrire des systèmes, vouer le roc, le chêne ou le hibou au destin d’un règne impossible à franchir : minéral, végétal, animal, bien qu’une rivière qui naît, qui meurt, et dont l’humeur varie nous paraisse aussi vive qu’un oiseau liquide dont la vie serait un cours et le chant un murmure. »
La tectonique des nuages, Armand Farrachi, éditions José Corti