STAS ACADEMY

Votre serviteur, alias « le curieux gardien », est honoré de faire partie de la Stas Academy, et d’étre – bien –  lu par un – bien – honnête homme…

STAS ACADEMY

Par André STAS, R.  

Quand je vois la hauteur des piles, je ne sais par où commencer… Tiens, par ce polar (pas récent mais absolument décoiffant) que l’ami Raymond m’a offert : Un chien dans la soupe, de Stephen DOBYNS (Folio policier n° 31). À travers New York, toute une nuit, qui semble ne jamais vouloir finir, l’infortuné Michael Latchmer va tenter de se débarrasser du cadavre de Jasper, un très gros chien rouge. Jean-Claude, un chauffeur de taxi s’offre providentiellement pour l’aider dans cette entreprise. C’est Virgile qui va guider Dante à travers les différents cercles de l’Enfer, car ça va aller de mal en pis au fil des différents blocks de la Grosse Pomme… Non seulement c’est exaltant mais en plus “atrocement” drôle. Le petit dernier de Jean-Bernard POUY vaut aussi le détour, Colère du présent (Baleine). Chaque 1er mai, à Arras, à l’occasion du Salon du livre d’expression populaire et de critique sociale, se rassemblent tous ceux qui n’ont pas encore renoncé à changer le monde et/ou transformer la vie : gauchistes, anars, écolos et autres utopistes de tout poil. Mais cette année-là, la fête continue car v’là que tous ces zigs, dûment armés, construisent des barricades et prétendent réclamer que la ville devienne désormais une Commune Libre ! L’armée est bientôt sur le pied de guerre et le général de la Villardeuse entame d’improbables négociations avec les insurgés… Je ne vais pas vous raconter l’histoire, ça ne serait pas du jeu. En exergue de tous les  chapitres, chaque fois une petite phrase qui fait du bien par où elle passe, du genre : La guerre justifie l’existence des militaires en les supprimant. (H. Jeanson) – Un brave général ne se rend jamais, même à l’évidence. (J. Cocteau) — Crachons comme une cascade lumineuse la pensée désobligeante ! (T. Tzara) — Il y en a qui sont faits pour commander et d’autres pour obéir. Moi, je suis fait pour les deux : ce midi, j’ai obéi à mes instincts en commandant un deuxième pastis. (P. Dac). Avec son pote Francis MIZIO, J.-B. nous assène aussi Alfonso Vermot Y Carambar (inventeur de la devinette). Deux professeurs émérites autant que proches de la démence sénile s’échangent du courrier à propos de cet aide de camp du Général Bolivar. C’est de plus en plus poilant au fur et à mesure qu’on avance dans ce délire publié par Jean-Paul Rocher (8, rue du Faubourg-Poissonnière, F 75010 Paris). Pour nous dépayser quelque peu de la Merdre du Nord, où il pleut en flamand, Nadine MONFILS choisit la Sérénissime pour cadre d’une série de nouvelles très dans sa manière. On déguste sans déplaisir ses Nuits retroussées à Venise (Tabou éditions, coll. Vertiges, F 91490 Milly-la-Forêt). De Truman Capote : Venise, c’est comme manger une boîte de chocolats à la liqueur, d’un seul coup. Et la Nadine d’ajouter : Mais quel délice de faire des excès de temps à autre… Aux mêmes éditions, Alexandra FARGAS dans son Guide de survie de l’amoureuse illégitime, offre aux maîtresses virtuelles un lot de principes politiquement incorrects dont l’application est censée leur permettre de mener à bien leurs galipettes. Une nouvelle maison d’édition qu’il faut absolument tenir à l’œil (et le bon) c’est Wombat (3, rue Simart F 75018 Paris). Cet été, j’ai lu trois livres de la collection Les Insensés(dirigée par Frédéric Brument) et je ne l’ai guère regretté : le Journal de Delfeil de Ton (qui n’est plus à présenter), les Enfants pour quoi faire ? de Robert BENCHLEY, un chroniqueur américain dont j’ignorais jusqu’à l’existence, à l’humour absurde et déjanté pour le moins irrésistible (l’éditeur annonce la parution imminente du même de Pourquoi je déteste Noël), et (last but not leastl’Œil de  l’idole, de S. J. PERELMAN, que préface Woody Allen. La vingtaine de nouvelles parfaitement nonsensiques (et pour la plupart 100% hilarantes) que l’on découvre avec ravissement dans ce recueil nous donne aussi vraiment envie d’en lire d’autres. Il faut préciser que ce génie comique fut le scénariste de deux chefs-d’œuvres des Marx Brothers, Monnaie de singe et Plumes de cheval, c’est vous dire si sa littérature vaut qu’on s’y intéresse. Et puis Wombat vient tout juste de rééditer les Mémoires d’un vieux con, de Roland TOPOR (un chef-d’œuvre absolu) ainsi qu’un recueil de trente-trois nouvelles parfaitement inédites du même, Vaches noires. On y retrouve l’inimitable humour délicieusement noir de l’ami qui tant nous manque. WOMBAT : le genre de bouquins qu’on aime vraiment !

De l’égarement à travers les livres, d’Éric POINDRON (le Castor Astral, “Curiosa & cætera”) est un livre inclassable, à la fois roman et jeu de piste. Discrètement contacté par une société secrète, le Cénacle troglodyte, le narrateur va être engagé comme “détective littéraire” et invité à faire toute la lumière sur diverses affaires occultes tapies sous l’histoire officielle de la Littérature. On croise Collin de Plancy, La Harpe, Chamisso, Voltaire, Petrus Borel, Lewis Carroll, Lovecraft ou encore Berbiguier de Terre-Neuve du Thym, ce fou littéraire dont les Farfadets demeure le parangon du délire paranoïaque. Mais que le lecteur égaré dans ce labyrinthe reste à tout moment sur ses gardes car certains personnages sont subtilement controuvés, tel le savant Nicolas de Lemonial, auteur supposé d’une Théorie scientifique et systématique de classification du petit peuple et de leurs semblables. Entre la part de vérité et celle du mensonge il vous faudra naviguer ! Pour suivre, farcissez-vous donc les Savants fous (D’Archimède à nos jours, une histoire délirante des sciences), de Laurent LEMIRE (Robert Laffont), c’est une galerie de portraits (tous bien réels cette fois) assez remarquable qui nous fait comprendre que le génie flirta très souvent avec la vésanie. Tous ces sages insensés, ces hommes de raison qui la perdent, ces démiurges pris eux-mêmes au piège de leurs sortilèges, tous ces personnages étranges, fantasques, illuminés ou cruels vont vous faire sauter aux yeux que le “savant fou” est à la Science ce que le corrompu est au Droit : une sorte de dévoiement, de dérapage, de mal inévitable. Du savant à l’inventeur, il n’y a qu’un pas que nous franchissons allègrement en béant d’admiration pour le Nain géant, de Marc PETIT (Éditions de l’Arbre vengeur, 15, rue Berthomé – F 33400 Talence). On ne quitte qu’à regret ce roman fantastique, pastiche étourdissant des merveilleux feuilletons populaires du XIXème siècle, qui nous tient en haleine de bout en bout. On y apprend tout (et le reste) sur les automates, du canard de Vaucanson au célèbre Joueur d’échecs, mais on y croise aussi le Golem, tout ça dans une atmosphère délétèrement trépidante. Ce livre est à la fois très savant et très excitant. Même dithyrambe pour N° 44, le mystérieux étranger, de Mark TWAIN (Tristram, 39, Boulevard Roquelaure B. P. 90110 – F 32002 Auch). Cet “ovni” n’a absolument rien à voir avec les rives du Mississippi (chères à l’auteur pour ses immortels Tom Sawyer et Huckleberry Finn) car il nous amène dans l’Autriche profonde, à la fin du XVème siècle, dans un immense château où une communauté d’imprimeurs réalise l’une des premières Bibles industrielles. Mais le récit dévisse assez vite, c’est-à-dire dès qu’arrive en ces lieux un jeune vagabond à la fois fascinant et dérangeant. Commençant comme un ironique conte médiéval, l’histoire prend ensuite la forme d’une fable fantastique qui évoque le nihilisme de Schopenhauer et tourne en dérision nos misérables catégories anthropocentriques. Twain consacra les douze dernières années de sa vie à ce roman (en le recommençant trois fois) et évoqua l’écriture de ce bouquin comme un “luxe inimaginable”, une “ivresse intellectuelle”. Il désirait montrer, sans le moins du monde se soucier des préjugés, des opinions ou des  croyances d’autrui, ce qui constituait, selon lui, le fond de l’âme humaine. Autrefois publiée dans une version odieusement censurée par les héritiers de l’écrivain, cette pure merveille paraît enfin telle qu’elle fut écrite. À ne rater sous aucun prétexte. Une salve d’applaudissement pour Camille BRUNEL et sa Vie imaginaire de Lautréamont (Gallimard, l’Arbalète), un premier livre parfaitement emballant. Sans doute, cet ouvrage doit-il beaucoup aux incontournables travaux de Jean-Jacques Lefrère mais il nous emmène décidément ailleurs que dans l’érudition pure et dure. Malgré quelques audaces (comme les rencontres imaginées d’Isidore Ducasse avec Verlaine), on est littéralement pris par cette fiction remarquablement écrite, ce qui ne gâche rien. On retrouve le Pauvre Lélian et autres Vilains-Bonshommes en se plongeant dans Arthur Rimbaud et le foutoir zutique, de Bernard TEYSSÈDRE (Éditions Léo Scheer). Cette analyse détaillée et très rigoureuse de tous les poèmes du célèbre Album zutique est remarquable car on peut se rendre compte qu’il s’agissait pour l’adolescent révolté d’utiliser l’obscénité et la provocation verbale à la fois comme un moyen de s’émanciper et un outil de subversion politique. Ces textes, qu’on pourrait prendre pour des blagues de potaches, vont bien plus loin qu’il n’y paraît et sont parfois à double, voire à triple, fond. Indispensable pour les rimbaldiens mais aussi pour les passionnés des turbulences de la fin du XIXème siècle.

Je passe le turbo. On rend grâce à Jean-Luc STEINMETZ de nous offrir (enfin) une nouvelle biographie de Tristan Corbière (Fayard), le poète des Amours jaunes (son “monstre de livre”) s’avérant bien plus qu’une comète dans le ciel sombre de la littérature. On choisit comme livre de chevet (ou on le laisse traîner au retrait, si l’on préfère) Fumisteries, Naissance de l’humour moderne (1870-1914), une indispensable anthologie concoctée par Daniel GRONJNOWSKI & Bernard SARRAZIN (Omnibus). Tout le monde s’y retrouve à travers trois cents textes subversifs, inventifs et irrespectueux à l’envi. Vivent ces formes corrosives d’un rire qui savait prendre des risques ! On casse sa tirelire pour acquérir Grandville, Un autre monde (Galerie Guy Pieters), une merveille de catalogue publiée à l’occasion de l’exposition Grandville qui s’est tenue cet été au musée Félicien Rops à Namur. On y trouve non seulement le fac-similé de ce livre “gigantesque” mais aussi celui du brouillon, du Charivari du 21 juillet 1843 et d’un solide lot de dessins préparatoires. C’est absolument magnifique. Un autre catalogue qu’il faut bien se procurer c’est celui d’une expo qui eut lieu en 2010 au Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besancon, Charles Fourier, l’Écart absolu (les Presses du réel). Certes, le contenu est plus qu’intéressant mais j’ai rarement vu des graphistes représentant à un point tel le modèle de la “nuisance” (mise en pages atroce, couleurs intempestives à chier, notes imprimées horizontalement (!), etc.). Bref, ça gâche tout. Honte au Studio Martial Damblant de Metz ! (J’arrête là car je sens que je m’énerve.) On relira avec joie les Confessions d’un mangeur d’opium anglais ou De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts entre autre Œuvres publiées de Thomas DE QUINCEY dans la Bibliothèque de la Pléiade. On découvrira avec avidité ses Esquisses autobiographiques, ses Essais de fantaisie et ses Nouvelles gothiques dont on ignore tout. Les ouvrages de ce grand contempteur des réputations établies sont tous assez fabuleux. Généralement, les rares individus qui ont excité mon dégoût en ce monde étaient des gens florissants et de bonne renommée. Quant aux coquins que j’ai connus, et ils ne sont pas en petit nombre, je pense à eux, à tous sans exception, avec plaisir et bienveillance. On se dispensera de lire Queneau losophe, de Jean-Pierre MARTIN (Gallimard, L’un et l’autre) où l’auteur nous enquiquine au point qu’on abandonne sans regret ses rodomontades après qu’elles nous soient presque tombées des mains. Par contre, on s’amusera grâce à Cher Monsieur Queneau, Dans l’antichambre des recalés de l’écriture (Denoël), un choix de lettres reçues par le Raymond lorsqu’il était chef du comité de lecture chez Gallimard. Choisies et présentées par Dominique CHARNAY, ces “pièces à conviction”, pour la plupart d’une désarmante candeur, ne laissent pas de s’avérer souvent “lamentablement marrantes”. Et Hop ! deux petits Mille et une nuits qu’on ne rate pas : les Zeugmes au plat, de Sébastien BAILLY (n° 585) qui fait le point sur cette figure de style dans laquelle excellait Desproges. Il baissa sa culotte et dans mon estime. (Maryz Courberand)  — Mieux vaut s’enfoncer dans la nuit qu’un clou dans la fesse gauche. (Alphonse Allais) —Les gardiens de la paix, au lieu de la garder, ils feraient mieux de nous la foutre ! (Coluche). On appréciera aussi le pessimisme joyeux d’Henri ROORDA, le Rire et les rieurs suivi de Mon suicide (n° 587). Ce mathématicien anarchisant helvète vaut foutrement le détour. Le Pornithorynque est-il illustré ?, l’intégrale des mots-valises d’Alain CRÉHANGE, adorablement illustrée par Éric ARBEZ (Fage éditions, Lyon) risque fort de vous amuser à de nombreuses reprises. Finissons par des poèmes : les Paroles, de Dick ANNEGARN (le Mot et le reste) sont subtilement rafraîchissantes. Notre ami Tom NISSE s’avère, de recueil en recueil, de plus en plus percutant et semble décidément devenir “un tout grand”. Pour vous en convaincre, plongez donc dans Reprises, son petit dernier (l’Arbre à paroles), c’est plutôt très bien. Quant à ce qui se fait vraisemblablement de mieux en ce moment de l’autre côté de la muraille linguistique c’est la poésie d’Andy FIERENS. Son Gros papillon dégueulasse (morceaux choisis), traduit du néerlandais par Antoine Boute (Maelström révolution, Bookleg) vous le démontrera sans peine. L’optimisme, c’est être en phase terminale et quand même arrêter de fumer (je ne suis pas optimiste).

André STAS, R.


STAS ACADEMY (novembre)

Ne voilà-t’y pas qu’au coin d’un bar (à peine) nocturne, où l’on venait, plutôt discourtoisement, de nous refuser “l’ultime”, un de mes fervents lecteurs se hasarde à me susurrer (m/f)ielleusement que j’avais eu tendance, dans le dernier C4, à causer d’un peu “trop” de livres et que je n’en avais point, de ce fait, dit assez sur chacun. Quand je n’écrivais que sur l’un d’entre eux, voire deux, ça n’avait pas l’heur de plaire non plus à d’autres lisants assidus. Saperlipopettouile ! On ne peut contenter tout le monde et son père (même les bourriques apprécient cette relative vérité). J’avais pourtant l’illusion d’avoir, au fil des années – d’une part m’abstenant de (ne fût-ce que) citer tout ce que j’avais pu me farcir en deux mois, d’autre part prenant le soin de m’étendre un chouia sur le Nanan – , fleureté avec la mediocritas aurea… N’ayant rien à “être” (même pas critique littéraire), selon ce que dit la ’Pataphysique, laissez-moi donc simplement ne pas être dupe, n’être qu’un catalyseur, une huile de graissage (comme me l’enseigna le T. S. André Blavier) et permettez-moi de confectionner mes tartines comme ça me chante (de toute façon, je vous emm… autant que je vous respecte – c’est équivalent). Vous fournir un bâton pour me battre ? Ne rêvez-pas.

Toutefois, me replongeant, par scrupule, dans mon précédent papier (remarquez au passage que je n’ai pas écrit que j’y avais “jeté un œil”, car je ne jette jamais un œil, préférant de loin ramasser ceux des autres), je me dis qu’effectivement j’aurais pu, par exemple, vanter un peu plus Fumisteries, Naissance de l’humour moderne (1870-1914), la décidément séduisante anthologie de Daniel GROJNOWSKI & Bernard SARRAZIN (Omnibus) ou m’étendre davantage sur  Les Savants fous (D’Archimède à nos jours, une histoire délirante des sciences), de Laurent LEMIRE (Robert Laffont), tant ce bouquin m’a véritablement donné l’envie d’en savoir plus sur quelques mutants d’envergure. En sus, je me serais fait plaisir… D’ailleurs, je n’hésite pas : je me l’offre ! Certes, j’avais eu vent des illusoires rayons N du professeur Blondlot, j’avais approché les affabulations de Lombroso (son Homme criminel ou son Homme de génie), j’avais même acquis (à prix raisonnable) la délirante Folie de Jésus du Docteur Binet-Sanglé, mais je ne m’étais pas montré assez attentif à  P. dit F. Lutterbach (cependant tant dans Les Fous littéraires de Blavier que dans les Gens singuliers de Lorédan Larchey) qui, en 1850, publia un ouvrage dont le titre à rallonge témoigne de l’étendue de sa pathologie : Révolution dans la marche ou Cinq cents moyens naturels et infaillibles pour trouver le confortable dans les différentes manières de marcher ; user sa chaussure selon sa volonté, ne pas la déformer, éviter les cors aux pieds ; ne pas se fatiguer en marchant, ainsi qu’en travaillant ; marcher avec assurance sur les chemins glissants ; ne pas se crotter, ou si l’on se crotte par une marche forcée, se décrotter à sec par un exercice agréable sans faire de poussière et sans détériorer l’étoffe ; redresser par la marche la démarche des boiteux, y compris jeux et exercices hygiéniques pour les personnes délicates de tout âge, conserver la vue et lui donner la force de soutenir l’éclat du soleil sans la fatiguer, enfin contribuer puissamment à sa santé, modérément à sa gaîté et quelque peu à sa beauté, rien que par son propre mouvement. L’idée fixe du bonhomme, c’est la marche, Et pas n’importe laquelle car il prône les bienfaits de la marche “en arrière” pour régler tous les problèmes ! Pour lui, l’équilibre du monde pourrait venir de notre capacité à aller de l’avant, mais à reculons… “L’idée de marcher en arrière peut paraître étrange au caractère français, et ne devoir présenter aucune importance. Cependant si l’on se reporte aux temps de notre plus grande gloire militaire, on verra que quelques-uns de nos généraux de l’Empire se sont immortalisés en faisant des retraites savantes. On concevra toute l’importance que l’on doit apporter dans l’exercice de la marche en arrière, en considérant qu’en cas de retraite, plus en marchant l’on pourra faire face à l’ennemi, plus tôt on sera prêt pour saisir le moment de l’attaque. Indépendamment de l’utilité qu’il y aurait à améliorer la marche en arrière pour les temps de guerre, qui pour le bien de l’humanité ne devraient plus se représenter, ne serait-elle pas aussi fort utile en temps de paix ? En effet, n’avons-nous pas vu des officiers de la garde nationale, peu exercés aux évolutions militaires, qui au détour des rues, marchant en arrière pour commander cette manœuvre à leur troupe, ont donné du talon contre le trottoir, et après avoir fait de vains efforts pour se retenir, se sont vus forcés de perdre l’équilibre ?” Ce merveilleux “saisi” aurait aussi pondu, entre autres, une Physiologie hygiénique pour bien se nourrir avec peu de nourriture, bien se désaltérer en buvant et pour éviter l’indigestion en cas de surabondance (traité dans lequel il consacrerait moult pages à la réhabilitation du haricot), une Science nouvelle pour entretenir la beauté et améliorer les traits du visage, rien que par sa propre nature et un Art de respirer, moyen positif pour augmenter agréablement la vie. Si, par miracle, quelqu’un possède ces ouvrages, je suis preneur…

Assez ri, passons aux délectations actuelles. Chez l’Archipel, Gérald MESSADIÉ nous offre 4000 ans de mystifications historiques, un gros bouquin qui ausculte quarante siècles (comptez comme vous voulez) de légendes, impostures, omissions et autres bobards, pourtant enseignés en classe. De la ciguë de Socrate aux aventures de Marco Polo en Chine, de l’homme au masque de fer au nuage de Tchernobyl, de Claude des Armoises (la fausse Jeanne d’Arc) aux attentats du 11 septembre, le romancier-historien nous fait voyager un peu partout pour nous démontrer que nous sommes prisonniers de mythes pieusement entretenus, auxquels ne fait défaut que la vérité historique, ou que la désinformation fonctionne partout à fond les manettes. On peut plonger dans ce livre de façon discursive, dévorant d’abord ce qui nous intéresse plus qu’autre chose pour prendre connaissance ensuite, par curiosité, de chapitres qui sont moins notre tasse de thé. Pour ma part, j’ai d’abord lu les pages consacrées à la véridique et déconcertante histoire d’Orélie Antoine Ier, roi d’Araucanie-Patagonie (un personnage qui nous est cher) puis celles sur la papesse Jeanne, sur Boronali, maître de l’excessivisme, sur les momeries de Mesmer, sur Les Protocoles des sages de Sion (vu que je sortais du Cimetière de Prague d’Umberto ECO), avant de boire du petit-lait avec la prodigieuse affabulation de Fyodor Kouzmitch, alias Alexandre Ier de Russie, avec la charge de la brigade légère ou les lauriers de la stupidité ou encore grâce à sir Edmund Backhouse, un arnaqueur de génie qui, en Chine, roula plusieurs fois magistralement le Foreign Office dans la farine. Je m’en voudrais d’oublier ce bon Dr. Voronoff qui, à Paris, entre 1920 et 1930, pratiqua cinq cents greffes de testicules de singes à des hommes en vue de leur faire recouvrer leur jeunesse. De lui, je n’ignorais rien (ayant même quelques-uns de ses ouvrages dans ma “librairie”) mais qu’une histoire parallèle se soit développée dans le même temps aux États-Unis voilà qui me ravit. Un aventurier, John Romulus Brinkley, traita un fermier impuissant depuis seize ans en lui greffant des gonades de bouc, ce qui lui fit  acquérir une réputation fulgurante et faire, au Kansas, dix fois mieux que Voronoff : soit cinq mille (comptez comme vous voulez derechef) greffes de couilles de bouc ! La misère humaine n’a pas de limites. J’ai dévoré aussi Le Règne de la poire, Caricatures de l’esprit bourgeois de Louis-Philippe à nos jours, de Fabrice ERRE (Champ Vallon, coll. la Chose publique). De la célèbre charge de Philipon au dessin de Wiaz asticotant Balladur paru dans le Nouvel Obs, en passant par Daumier ou Jarry et son Père Ubu, la Poire proliféra dans les journaux satiriques, les rues et les mémoires, devenant le symbole de la civilisation bourgeoise triomphante. Ce tour d’horizon, abondamment illustré, de l’histoire de la vie politique française à partir de 1830 est jubilatoire. Quelle somptueuse idée a eue Jérôme Millon de rééditer les traités d’HILDEGEARDE DE BINGEN. Après Les Causes et les Remèdes (1997), Les Symphonies des harmonies célestes (2003), voici pour l’heure Physica, le Livre des subtilités des créatures divines, dans lequel la célèbre bénédictine du XIIème s. pose son regard sur les plantes, les éléments, les pierres, les métaux, les arbres, les poissons, les animaux et les oiseaux. On y trouve la trace d’antiques savoirs mais aussi un assez plaisant délire sacré dû à une “frappée” d’exception. Les intellos tordus apprécieront Platon et son ornithorynque entrent dans un bar, la Philosophie expliquée par les blagues (sans blagues ?) de Thomas CATHCART & Daniel KLEIN (au Seuil). C’est une lecture plutôt plaisante. Dans le chapitre consacré aux paradoxes logiques et sémantiques, on trouve bien sûr Bertrand Russel mais aussi Grelling et Nelson : “Il y a deux sortes de mots, ceux qui se réfèrent à eux-mêmes (autologiques) et ceux qui vont voir ailleurs (hétérologiques). Prenons des exemples de mots autologiques : “bref” (qui est un mot bref), “polysyllabique” (qui comporte plusieurs syllabes) et notre favori “orthographié” (qui l’est effectivement). Pour les mots hétérologiques, on a par exemple “tête-bêche” (un mot n’a pas de tête, quelle que soit votre vie conjugale) et “monosyllabique” (le mot a plusieurs syllabes). Mais le mot “hétérologique” est-il autologique ou hétérologique ? Telle est la question. S’il est autologique, alors il est hétérologique. S’il est hétérologique, alors il est autologique.” Ha ha ! Voici la blague illustrant cette problématique : C’est une ville dans laquelle le seul barbier rase tous les habitants du coin, et seulement ceux qui ne se rasent pas eux-mêmes. Est-ce que le barbier se rase lui-même ? S’il le fait, il ne le fait pas. S’il ne le fait pas, il le fait. (Tout le reste est à l’avenant).

Il faut bien causer un peu de littérature. On appréciera d’abord, et vivement, À vos caddies !, un très époustouflant recueil de nouvelles de Patrick LEDENT (chez Calliopées). C’est mieux que bien de bout en bout et ça donnerait envie de voir cet écrivain liégeois plutôt doué oser s’attaquer pour de bon à un roman. Toutes ces histoires bien torchées, excellemment servies par un style qui en est un, vont longtemps vous trotter en tête, croyez-moi. C’est bien simple : je n’échangerais pas un Patrick Ledent contre dix Beigbeder ! On lira aussi Monsieur Songe suivi de Le Harnais & Charrue du regretté Robert PINGET (Minuit, coll. “double”, n° 74). Ce vieil original au tempérament bilieux et à l’âme saugrenue ne pourra que vous plaire et vous ferez une place à ce personnage aux côtés de Candide, Plume ou Monsieur Teste, si ce ne sont Bouvard et Pécuchet. Les récurrences de Pinget (un peu comme celles de Thomas Bernhard en moins hargneux), sa petite musique qui finit par nous séduire sans avoir l’air d’y toucher, ne procurent que du ravissement. Il me faut une fois de plus vous chanter les louanges de l’immense Mark TWAIN, non pas, comme le mois dernier, pour un roman fantastique mais pour un recueil d’articles hyper-virulents où l’auteur utilise au mieux sa verve satirique pour s’attaquer au patriotisme, au racisme, à l’hypocrisie religieuse ou au cynisme des nations occidentales se partageant le monde. Ne ratez donc sous aucun prétexte La Prodigieuse Procession & autres charges (chez Agone, BP 70072 – F 13192 Marseille cedex 20), rien n’y est à jeter. Commencez donc par les deux chapitres consacrés à notre Popold II national : Le soliloque du roi Léopold, Une défense de sa domination sur le Congo puis Twain accuse Léopold de l’assassinat de quinze millions de personnes, vous allez béer. Une petite connerie sympa en guise de récréation ? Allez hop ! Osez… 20 histoires de fellation (la Musardine), de charmantes (pour la plupart) historiettes dont le leitmotif est l’irrumation considérée comme un des Beaux-Arts. Juteux !, si j’ose. (Oui, j’ose.) Deux recueils d’études dont la lecture est également rafraîchissante : Apollinaire et les rires 1900 (Calliopées), où Claude DEBON établit l’édition des Actes du XXème Colloque international, qui s’est tenu à Stavelot en 2007. Que du bonheur ! Le Comique de caf’-conc’ dans le théâtre d’Apollinaire – L’Écho du rire de Jarry chez Apollinaire, Du Merdecin à la mère des seins – Le Rire comme facteur de désordre dans les récits d’Apollinaire, etc. Un seul monde. Relectures de Rosny aîné, études réunies par Philippe CLERMONT, Arnaud HUFTIER & Jean-Michel POTTIER (aux Presses Universitaires de Valenciennes) vaut aussi fichtrement le détour. Le prodigieux Rosny dont les romans préhistoriques (La Guerre du feu, Le Félin géant, …) ou d’anticipation (Les Xipéhuz) nous ont tant fait rêver… Bon ! restons-en là car m’attendent Limonov d’Emmanuel CARRÈRE (P.O.L.), Scintillation de John BURNSIDE (Métailié) et Les jardins statuaires de Jacques ABEILLE (éditions Attila), trois romans dont un ami sûr m’a dit le plus grand bien. Mais avant cela, je vais commencer par me taper toutes affaires cessantes Le théorème du Surmâle, Lacan selon Jarry de Paul AUDI (Verdier), dont la bande pose cette question : De quoi s’agit-il donc avec l’amour ? “L’amour est un acte sans importance, puisqu’on peut le faire indéfiniment” de l’Alfred confronté à “l’amour supplée” au fait qu’“il n’y a pas de rapport sexuel” de l’impayable Jacques, voilà qui promet… Pour rester dans le sujet, je ne résiste pas à vous raconter celle-ci en guise de conclusion : Pierrot va se confesser et dit : — Bénissez-moi, mon Père, car j’ai péché. J’ai couché avec une fille facile.— Ah, c’est toi Pierrot ! Avec qui donc as-tu couché ?, demande le prêtre. — Je préfère ne pas le dire, Père. — Était-ce Nadine ? — Non, Père. — Était-ce Isabelle ? — Non, Père. — Était-ce Charlotte ? — Non, Père. — Bien, Pierrot, tu diras deux Pater et quatre Ave. Pierrot sort de l’église et rencontre son ami Christophe qui lui demande comment cela s’est passé. — Génial ! , dit Pierrot. J’ai eu deux Pater, quatre Ave et trois bons plans.

André STAS, R.  

Ceci n’est pas – pas – André Stas, R.

André Stas est écrivain, imagier, collagiste, Régent de la Chaire Fondamentale des Travaux Pratiques d’Aliénation Mentale au Collège de Pataphysique. Il est l’auteur, entre autres, de Entre les poires et les faux mages, un livre rare  tournant autour de la thématique des fous littéraires et accessoirement des théologiens et mystiques mutants  (éditions des Cendres) – Prix Xavier Forneret de l’humour noir 2009.

L’ÉTRANGE (*) QUESTIONNAIRE, DE ANDRÉ STAS, R.

(*) Bizarre, extraordinaire, singulier, surprenant. Le Robert

Les questions ne sont jamais indiscrètes. Les réponses le sont parfois.

Oscar Wilde

1 – Écrivez la première phrase d’un roman, d’une nouvelle, ou d’un livre étrange à venir.
Longtemps, j’ai couché avec les poules.

2 – Sans regarder votre montre, quelle heure est-il
Elles sont toutes bonnes.

3 – Regardez votre montre, quelle heure est-il ?
Ça fait bien des années que je vis sans montre. Sans réveil-matin non plus. (Gérard Van Bruaene nous l’apprit : L’homme a droit à 24 heures de liberté par jour. )

4 – Comment expliquez-vous cette – ou ces – différences du temps ?
Tout est relatif.

5 – Croyez-vous aux prévisions météorologiques ?
Non. Les horoscopes sont plus crédibles qu’elles.

6 – Croyez-vous aux prévisions astrologiques ?
Je n’y crois pas, mais je les lis quand même (comme tout le monde). De toute façon, comme l’a si bien dit Paul Éluard : Il ne s’agit pas de croire mais de savoir.

Oeuvre de Julien Pacaud

7 – Regardez vous le ciel, et les étoiles, quand il fait nuit ?
Plutôt dix fois qu’une, du moins quand je me trouve dans un endroit où la chose est possible (c’est-à-dire non pollué et dénué d’un éclairage public intempestif, ne permettant guère l’observation).

8 – Que pensez-vous du ciel et des étoiles quand il fait nuit ?
Il ne s’agit pas de penser mais de contempler, le plus « scientifiquement » possible.

9 – Avant de répondre à ce questionnaire, que regardiez-vous ?
La plus jeune de mes chattes (une petite tigrée âgée de 6 mois), perfection ontologique répondant au nom de Zazie.

10 – Que vous inspirent les cathédrales, les églises, les mosquées, les calvaires, les synagogues et autres monuments religieux ?
ATHÉEZ-VOUS !

11 – Qu’auriez-vous vu si vous aviez été aveugle ?
« Vu », sans doute rien ou presque. Mais tous mes autres sens eussent été exacerbés.

12 – Qu’auriez-vous aimé « voir » si vous aviez été aveugle ?
Le lever de la lune sur la mer.

13 – Avez-vous peur ?
L’un ou l’autre cauchemar m’a déjà fait me réveiller glacé d’effroi, le cœur battant la chamade.

14 – De quoi avez-vous peur ?
De perdre la mémoire. J’ai peur du blanc, quoi !

15 – Quel est le dernier film horrible que vous avez vu ?
Le Journal télévisé d’aujourd’hui.

16 – De qui avez-vous peur ?
Des multiples incarnations du Père Ubu.

17 – Vous êtes vous déjà perdu ?
Pour découvrir de nouvelles routes, il faut commencer par se perdre.

18 – Croyez-vous aux fantômes ?
J’en ai « vu » au moins un. Et, cette même nuit, d’autres personnes avec moi. Ce n’était pas une erreur de mes sens abusés.

19 – Qu’est-ce qu’un fantôme ?
Une âme qui a raté son train.

20 – En l’instant, à l’exception de l’ordinateur, quel(s) bruit(s) entendez-vous ?
Des moteurs, hélas !

21 – Quel est le bruit le plus effrayant que vous ayez entendu ?
Le bruit qui court comme quoi bon nombre d’espèces animales allaient encore définitivement disparaître dans très peu d’années.

22 – Avez-vous fait quelque chose d’étrange aujourd’hui ou ces derniers jours ?
Ce qui semble étrange pour les autres ne l’est pas pour moi, toujours prisonnier de mon dernier moment d’enthousiasme.

23 – Êtes-vous déjà allé dans un confessionnal ?
Oui. Mais j’étais enfant, donc malléable. Dès l’âge de 15 ans, je me suis mis à exécrer la Calotte et ses odieuses manigances.

24 – Vous êtes au confessionnal ; alors confessez-moi l’innommable.
Je voudrais faire bouffer ses gonades à Benoît XVI.

25 – Sans tricher, qu’est-ce qu’un « cabinet de curiosités » ?
Un foutoir savant, un exaltant ramassis d’épiphénomènes.

26 – Croyez-vous à la rédemption ?
Les trucs judéo-chrétiens ne sont pas ma tasse de thé. Je ne parle qu’au dieu des Indiens des plaines, Wakan-Tanka, le « Grand Mystère », avec lequel j’ai une ligne directe.

27 – Avez-vous rêvé cette nuit ?
Oui, fort heureusement.

28 – Vous souvenez-vous de vos rêves ?
Oui, généralement, vu qu’on ouvre ses quinquets peu après, les rêves vous arrivant, le plus souvent, juste avant le réveil.

29 – Quel est le dernier rêve que vous avez fait ?
La congestion de ma mentule me le fit regretter. Mais ma mère ne serait pas fière de moi si je vous le racontais.

30 – Que vous inspire le brouillard ?
La satisfaction de n’avoir plus à me mettre en route.

31 – Croyez-vous aux animaux qui n’existent pas ?
Bien sûr. Même que je me prends parfois à en inventer de nouveaux.

32 – Qu’est-ce que vous voyez sur les murs de la pièce ou vous êtes ?
Je ne vois plus de murs. Juste des bibliothèques.

33 – Si vous deveniez magicien, quelle est la première chose que vous feriez ?
Faire disparaître toutes les religions, question d’espérer que l’humanité vive peut-être enfin en paix.

34 – Qu’est-ce qu’un fou ?
La folie n’est pas l’absence de cohérence. C’est la cohérence absolue. C’est dire : Je suis Napoléon. Et l’être.

 

Photo de André Kertesz

35 – Êtes-vous fou ?
C’est tout le bien que je me souhaite. Quand on ne reste pas fou, on devient dingue.

36 – Croyez-vous en l’existence des sociétés secrètes ?
Croire, croire, toujours croire… J’en ai rien à branler de croire, en définitive !

37 – Quel est le dernier livre étrange que vous ayez lu ?
Jodi, toute la nuit, de mon ami Didier de Lannoy. Un pur chef-d’œuvre.

38 – Aimeriez-vous vivre dans un château ?
Je finirai par le faire. Promis, juré !

39 – Avez-vous vu quelque chose d’étrange aujourd’hui ?
Zazie revenant du jardin, toute fringante, avec un orvet frétillant dans sa gueule.

40 – Quel est le denier film étrange que vous avez vu ?
Hier, en zappant, je suis retombé sur Brazil et j’ai été une fois de plus scotché. Le chien avec son Tensoplast collé sur le trou du cul m’a encore fait littéralement m’écrouler.

41 – Aimeriez-vous vivre dans une gare désaffectée ?
Oui, si elle est tapie en rase campagne.

42 – Êtes-vous capable de deviner l’avenir ?
Je n’irai pas jusque là, mais j’ai la prémonition du danger (qui s’avère, le plus souvent, fondée).

43 – Avez-vous déjà pensé vivre à l’étranger ?
Je suis un émigré de l’intérieur.

44 – Où ?
Si on devait se tirer, où le ferions-nous, sinon dans la tête ?

45 – Pourquoi ?
Les « Pourquoi ? » n’ont guère trop d’intérêt. Je préfère les « Comment ? ».

46 – Quel est le film le plus étrange que vous avez vu ?
Sans hésiter : l’Abominable Docteur Flak, de l’émoustillant Jean-Jacques Rousseau, notre Ed Wood belge.

47 – Auriez-vous aimé vivre dans un presbytère ?
Quelle horrible question ! On ne « vit » pas dans un endroit pareil, Monsieuye ! Même s’il peut arriver qu’on se permette d’y culbuter son antique gouvernante, voire d’y branler onctueusement quelque angélique acolyte.

48 – Quel est le livre le plus étrange que vous avez lu ?
Plutôt la mort, roman d’amour, de Léon Boudin.

49- Préférez-vous les sabliers ou les globes terrestres ?
Voilà qu’il ne s’agit plus de croire mais de préférer ! Un globe terrestre ne me servirait à rien si je désirais un œuf mollet parfait. Un sablier ne me serait d’aucune utilité si je désirais savoir où se trouve précisément Pétaouchnok.

50 – Préférez-vous les loupes anciennes ou les armes blanches ?
Et ça continue ! Les armes, c’est pas mon truc. Disons les loupes, question de répondre.

51 – Qu’y a-t-il, selon toute vraisemblance, dans les profondeurs du Loch Ness ?
Savez-vous ce que vous répondrait Nessie, en vérité ?

52 – Aimez-vous les animaux empaillés ?
Ça pue la mort ! Je n’aime que les bêtes vivantes. Même les fort molles. (Sorry ! Il est tard. )

53 – Aimez-vous marcher sous la pluie ?
Et chanter, donc !

54 – Que se passe-t-il dans les souterrains ?
Leurs torches s’éteignant, des égarés hagards dérangent, par moult lamentations lamentables, le sommeil, qui réparateur eût dû s’avérer, d’une colonie de chauves-souris sans leur moumoute.

55 – Que regardiez-vous quand vos yeux se sont détachés de ce questionnaire ?
L’ongle de mon index droit, déplorant de le voir en deuil.

56 – Que vous inspire cette phrase célèbre : « Dès qu’il eut franchi le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre » ?
Un grand souvenir cinématographique.

57 – Sans tricher, d’où est tirée cette phrase célèbre : « Dès qu’il eut franchi le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre » ?
Du Nosferatu le vampire de MURNAU, film inoubliable s’il en est.

58 – Aimez-vous marcher la nuit dans la forêt ou les cimetières ?
Dans la forêt, oui. Et plutôt souvent. Quant aux cimetières, je préfère m’y balader dans la journée, question d’y traquer le comique de la réalité dépassant l’affliction.

58 – Écrivez la dernière phrase d’un roman, d’une nouvelle, d’un livre étrange à venir.
« Wxfchwxkjhcvxwkjlvghsdwjkhvxwjkc ! », hurla-t-il tout vert.

59 – Sans regardez votre montre, quelle heure est-il ?
J’ai pas de montre, je l’ai dit plus haut. « Elles sont toutes bonnes » (déjà précisé aussi).

60 – Regardez votre montre. Quelle heure est-il ?
Dommage que ce questionnaire s’achève par une insanité pareille ! Si encore on m’avait posé une question aussi pertinente que celle-ci (de Robert Filliou) : Comment allez-vous et pourquoi ?

Enfin, le curieux gardien fait beaucoup plus que vous recommander la lecture de :

Entre les poires et les faux mages de André Stas aux merveilleuses éditions des Cendres

Pierre de Gondol, le plus petit libraire de Paris, n’a pas beaucoup de clients, mais ce sont tous des habitués, des fidèles, des spécialistes, qui, de temps en temps, le chargent d’enquêter dans le Milieu interlope des textes. La librairie bordélique du quasi-omniscient de Gondol (douze mètres carrés) est sise rue Beautreillis. Ses amis – des amoureux pervers polymorphes du livre et de l’écrit en général – le surnomment Épictète, il a un faible pour le Mercurey et Iris…

Ce Pierre de Gondol inédit, qui croise Curiosa et fous littéraires, est d’humeur irrésistible. André Stas s’y joue de tout, pour la joie du lecteur qui en jouit de bout en bout. Service de vins, poire et fromages à tous les étages…

© Collage de Casajordi – Collection Marc Ways et Institut International et d’Explorations sur les Fous Littéraires