CA NOUS FERA UN PEU DE VACANCES…

Comme l’écrivait si justement Sacha Guitry : « Pourquoi, en vacances, s’obstine-t-on à choisir douze cartes postales différentes alors qu’elles sont destinées à douze personnes différentes ? »

Photographie de Aaron Huey

Le curieux gardien vous recommande la lecture de :

Retour aux villas sans soucis de Georges Kolebka, éditions du Castor Astral

C’est la fin de la journée, on remonte de la plage d’un pas traînant.

En passant près des villas, on entend, dans un jardin, des enfants qui jouent au ballon. Plus loin, un homme nettoie sa voiture à l’aide d’un tuyau d’arrosage ou s’active devant un barbecue, ailleurs on prend l’apéritif en papotant. Quarante-neuf villas sont ainsi observées, mais dix ans après, la tentation est grande de revenir sur les mêmes lieux. On retrouve alors, presque identiques, ces quarante-neuf villas, même si certaines ont troqué leur nom.

Les occupants, eux, ont davantage changé… Ce sont des variations sur le bonheur ou les méfaits du temps qui passe. C’est forcément un peu nostalgique, un peu drôle, un peu méchant. Ce sont quarante-neuf mini-romans en deux parties. C’est la vie.

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La villa Diogène

COMBIEN ?!!!

Amusant et et fort instructif – de cette instruction qui ne sert à rien à l’exception de jubiler – cet article de Edouard Launet paru autrefois dans Libération. Des chiffres et des lettres, en somme…

Astérix et son gros copain sont réputés pour leur propension à assommer tout ce qui passe à portée de poings. Si bien qu’une équipe d’universitaires allemands, épluchant les 34 albums déjà dédiés aux aventures des deux irréductibles, a pu y recenser 704 cas de traumatismes crâniens de gravité variable. L’article de ces chercheurs, tout juste paru dans les Acta Neurochirurgica, indique que les Romains sont les victimes les plus fréquentes (63,9% des cas) et les Gaulois les agresseurs les plus probables (près de 90%). Plus de la moitié des traumatismes s’accompagnent d’une perte de conscience avec souvent un effet sur le nerf hypoglosse, c’est-à-dire que la langue de la victime pendouille lamentablement sur le côté de la bouche. Cependant, aucun décès ni déficit neurologique permanent n’a été constaté.

Les chiffres ont cette qualité, parfois, d’éclairer sous un jour radicalement nouveau une œuvre littéraire ou graphique. Profitant d’une nuit d’insomnie, nous venons de reparcourir crayon en main l’intégralité d’A la Recherche du temps perdu et n’avons pu y trouver le moindre cas de traumatisme crânien, sauf peut-être lors du déraillement du train qui fait arriver monsieur de Grouchy chez les Guermantes avec une heure de retard. On croise malgré tout quelques attaques cérébrales comme celle, bien connue des proustiens, dont la grand-mère du narrateur est victime dans les jardins des Champs-Elysées. Plus remarquable : il y a 9 occurrences du mot baromètre dans la Recherche, ce qui dénote chez Proust un intérêt soutenu pour la météorologie. Flaubert était beaucoup moins attentif au ciel. Relisant rapidement Madame Bovary ce matin, nous y avons repéré 18 fois le mot pluie, mais jamais les termes averse, crachin, ondée ou bruine. C’est dire si la météorologie flaubertienne ne fait pas dans la nuance. Le climat normand non plus, il est vrai.

Une impasse sur le déjeuner vient de nous permettre de souligner 26 fois le mot rain dans Finnegans Wake, mais une seule fois ragnowrock, présent dans l’expression « playing ragnowrock rignewreck ». Cette occurrence du mot ragnowrock est d’ailleurs la seule connue dans toute la littérature mondiale. Se passer également de dîner devrait nous permettre de lancer nos logiciels de lexicométrie à l’assaut des œuvres de Tolstoï et de Mishima, à la recherche du nombre de blessures par sabre.

Concernant le roman policier britannique, une bonne partie du travail a déjà été faite. La Crime Writer’s Association vient en effet d’annoncer que, sur l’ensemble de la production de l’an passé, le nombre moyen de cadavres par ouvrage était de 8,38. Le maximum est de 150. Quelques techniques originales parmi les assassinats 2010 : collages simultanés de la bouche et des narines à la superglue, coup d’euphonium – gros instrument à vent aussi appelé tuba ténor – sur la tête de la victime, taxidermie effectuée sur un sujet humain vivant (au début du moins). Autre atrocité chiffrable : la prochaine rentrée littéraire est grosse de plus de 700 nouveaux titres. Euh… il reste un peu de potion magique et une paille ?

Et le curieux gardien, d’avoir une pensée estimable et comptable pour l’estimé Sacha Guitry, en se souvenant d’un repas mémorable et néanmoins tragique :

«  Du jour au lendemain, un plat de champignons me laissa seul au monde. Seul, car j’avais volé huit sous dans le tiroir-caisse pour m’acheter des billes  – et mon père en courroux s’était écrié : Puisque tu as volé, tu seras privé de champignons ! Ces végétaux mortels, c’était le sourd-muet qui les avaient cueillis – et ce soir-là, il y avait onze cadavres à la maison. Qui n’a pas vu onze cadavres à la fois ne peut pas se faire une idée du nombre de cadavres que cela fait. Il y en avait partout »

Sacha Guitry, Mémoires d’un tricheur