CANARD(S)

Puisque sous la pluie tous les chats sont mouillés, je continue, au sec, mes recherches minuscules afin de prouver qui si tout change, rien ne change. Ce jour sera donc la saint-journaliste. A vos copies, messieurs les caudatères et les pisseurs…

AVERTISSEMENT

Dans le moment où les petites Biographies sont à la mode, on ne sera pas fâché, sans doute, d’avoir en un léger volume de cinquante centimes, de courtes notices sur Messieurs les Journalistes, ces organes de l’opinion publique, dont tout le monde se plaint, et à qui tout le monde cependant fait politesse. Ces indications pourront être utiles aux actrices qui ont besoin de mousser, aux auteurs qui cherchent des annonces, aux confiseurs qui souhaitent qu’on vante leurs douceurs, et aux jeunes filles à marier.

AMATEUR – Rédacteur qui n’en demande pas le paiement. Par exemple, M. Etienne n’est pas un amateur : ses articles dans le Constitutionnel lui son payés cent vingt francs la colonne ; il a le droit d’en fournir quatre par semaine, et de plus une action dans ce journal, laquelle lui rapporte vingt-quatre mille francs par an.

CHATELAIN – Rédacteur en chef du Courrier français, écrivain élégant et paresseux. C’était un des soutiens du Nouvel Homme gris, recueil où il donna de charmans articles. Il écrit encore dans le Mercure. Son 16e Siècle en 1817, ses Poésies, ses Lettres à Sidi-Mamouth, et ses autres publications, annoncent toutes un homme d’esprit ; mais l’auteur devrait savoir qu’on n’engraisse pas à vivre de laurier, et il paraît qu’il vit d’alimens plus substantiels. Il écrit dans le Mercure.

COLLIN DE PLANCY – Compilateur infatigable, connu par des ouvrages curieux où l’on trouve de savantes recherches présentées d’une manière amusante. Il a fondé le Petit Courrier des Dames à Paris, et la Sentinelle à Bruxelles. Il a écrit aussi dans le Censeur européen et dans l‘Indépendant. Il paraît qu’il se borne aujourd’hui à compiler.

AMIS – Les amis des journalistes sont ceux qui leur donnent à manger.

BERCHOUX – Auteur du charmant poème de la Gastronomie (et inventeur du mot gastronomie, note du gardien), converti depuis ce temps-là ; l’un des rédacteurs de la Quotidienne, et des ennemis de Voltaire.

DÉPÔT – Pour faire annoncer un ouvrage, il faut déposer deux exemplaires à chaque journal, et en donner un troisième au rédacteur ; mais le dépôt n’est jamais rendu ; on le vend, le samedi suivant, pour boire le lendemain.

LALANDE – Fameux astronome, collaborateur de Gaillard dans le Journal des Savans jusqu’en 1792. On sait qu’il mangeait des araignées : un docte, qui avait à se plaindre de lui, disait que c’était trop bon pour un journaliste.

PIÈCE DE BOEUF – On appelle ainsi dans les journaux politiques le grand article de pathos, sur les choses du moment, qui ouvre les colonnes de Paris. C’est ordinairement un jeune homme qui fait ce morceau, pour l’admiration du commun des lecteurs. On l’appelle aussi la pièce de résistance. Un excellent journal qui ne servirait pas tous les jours à ses abonnés la pièce de boeuf, ne serait pas sûr de réussir.

RÉDACTEUR EN CHEF – La plupart du temps il ne rédige rien : on lui remet les articles tout faits, qu’il met en ordre ; et voilà.

RESPONSABLE – Le rédacteur responsable d’un journal y est étranger la plupart du temps ; mais on lui fait une petite rente, moyennant quoi il veut bien courir le risque d’aller en prison.

SAINT-PROSPER – Rédacteur en chef du Journal des Campagnes, qu’on ne lit pas à Paris.

VISCONTI – Collaborateur du Journal des Savans, après l’ordonnance de réorganisation en 1816. Il n’y travaille plus, et se repose. On demande ce qui l’a pu fatiguer.

Extrait de Biographie des journalistes, avec la nomenclature de tous les journaux, et les mots d’argot de ces messieurs par une société d’écrivains qui ont fait tous les métiers, et qui se sont pliés à toutes les circonstancesParis, chez les marchands de nouveautés (Imprimerie d’Auguste Barthelemy, 10 rue des Grands-Augustins), 1826.

Johan Potma

Oeuvre de Johan Potma

Le « curieux gardien » en profite pour vous recommander la lecture de : 

Histoire véridique du canard de Gérard de Nerval, le Castor astral éditeur.

Si l’on connaît le Gérard de Nerval « ténébreux », le poète maudit et magnétique, on ignore trop souvent le chroniqueur léger et amusé qui donna au romantisme du XIXe siècle des pages fraîches, spirituelles et garnies de curiosités. Ethnologue amateur, piéton de Paris comme Restif de la Bretonne – son illustre modèle – et fin critique, Nerval légua en plus de ses chefs-d’œuvre quelques milliers de pages éparses, hétéroclites et bien troussés. Jean-luc Steinmetz, spécialiste du poète, nous le rappelle et donne ici à lire un autre Nerval. Non celui de la nuit « noire et blanche », mais un écrivain à la prose lumineuse, attentif aux lumières des théâtres et aux couleurs du jour.

En véritable chroniqueur mondain – le bel esprit en plus – l’auteur desChimères et de Aurélia se fait « touche-à-tout », écrivain ou historien, conteur malicieux et même scribe avant l’heure de ce que l’on nomme aujourd’hui les « légendes urbaines ». Nerval est en marche dans Paris et il arpente la capitale littéraire à grands pas. Il salue le géant Balzac autant de fois qu’il le peut, il tire le portrait des Parisiens, il nous guide sur le boulevard du Temple. Et puis, insatiable, il converse avec Faust, salue le bel écrivain Champfleury et nous présente le diable Rouge.

Enfin, non sans malice, il nous explique qu’il ne faut pas confondre canard et canard, et nous raconte à sa manière – et par le menu – l’histoire cet étrange animal devenu feuille imprimée : « Il ne s’agit point ici du canard privé, ni même du canard sauvage – ceux-là n’intéressent que Monsieur Buffon et Monsieur Grimod de la Reynière. Notre siècle en connaît d’autres que l’on ne consomme, que l’on ne dévore que par les yeux ou par les oreilles, et qui n’en sont pas moins l’aliment quotidien d’une foule d’honnêtes gens ».

Il est temps de redécouvrir ces chroniques, ces impressions de voyages ou ces remarques ironiques sur le quotidien de chaque jour pour tordre enfin le coup au « soleil noir de la mélancolie » et aux image d’Epinal qui colle à l’âme de l’un des plus éblouissant poète.

HISTOIRE VÉRIDIQUE DU CANARD, de Gérard de Nerval, édition présenté par Jean-Luc Steinmeitz, (LE CASTOR ASTRAL ÉDITEUR, coll. « Les inattendus »)

canard_vaucanson

Le canard automate &  « digérateur » de Jacques de Vaucanson sur lequel nous reviendrons – peut-être.

UNE LETTRE DE CLAUDE SEIGNOLLE

Cher Démiurge en pétillance de pages frénétique, cher ami « voyant », curieux en « plus-que-tout » et disant les « choses » à sa manière qui aurait plu à André Hardellet, diable d’autre ami avec qui nous hantions les bistrots à filles des Halles où nous habitions face à face, rue Beaubourg, avant l’assassinat de notre quartier –à-Beaujolais et à chaude-pisse. Souviens-toi du Bal chez Temporel où nous allions « marner » les filles si facile mais à venin.
Ton chouette de bouquin (De l’égarement à travers les livres, NDLR) te ressemble tellement que, le lisant, ta voix qui va partout en même temps, impossible à couper au ciseau de la conversation, sacrément entendue et ressentie. 
Il me semble que Collin de Plancy te colle à la peau, autant que Nerval ce qui perdure de notre fraternité. Quant à l’intrusion de Monsieur Claude, maquereau des mystères qu’on lui prête, ça m’a bien plu et je prends tes pages pour preuve que tu m’aimes sincèrement, nos folies cachées (moi) et visibles (toi). 
Tu as bien choisi tes sujets, ce qui fait que je n’ai pas renâclé à une première lecture rapide et passionnée. Je sais que je reviendrai souvent sur certains chapitres, si bien sorti de ta chaudière – pardon… alambic – animée sans doute par la sève champenoise des coteaux qui entourent ton officine à cauchemars délicieux. 
Belle et élégante couverture par là-dessus.
Ton co-fou dans nos « librairies » pourpres et déglinguées d’esprit qui te dit BRAVO pour toi et ton livre enchanteur.
A bientôt grand fiston exalté.

Claude Seignolle

238606_14798708_460x306