CRÂNE PASSION

Splendeur hypnotique de l’abysse, également effroi, vraies fausses vérités ou faussement vraies ou bien vraiment fausses ou bien passablement exactes ou bien partiellement erronées, fiction nuisant à la réalité – à moins que ce ne soit l’inverse – références fiables et citations extravagantes, sens multiples invraisemblables, en un mot : enchevêtrements. Balancement, binôme, entre-deux, yin et yang, pourtant ni tout l’un, ni tout l’autre ; il n’y a pas de gauche ou de droite, de nord ou de sud, mais l’infini des nuances qui se masquent toutes, le labyrinthe de l’à peine croyable.
Quand l’aura-t-on quittée, la trop confortable route de l’évidence dans Le Collectionneur de Providence ou Petit Traité de crânophilie, très brillante nouvelle fantastique d’Éric Poindron ? Sera-ce dès l’incipit, au sortir du train du héros, William Hope Hodgson, vrai vivant cependant ? A moins que l’on se sera détourné du droit chemin dès les citations en exergue, celle de John B. Frogg notamment ?
 
« Derrière la vérité, il existe une autre vérité ; laquelle est la vérité ? »
 
Main dans la main avec Hodgson, on croira d’abord s’aventurer dans un récit de Poe. Et puis, non. Ce sera un autre panorama. La rassurante dimension soudain en percutera une autre. Fiction teintée de réalité, à présent historiée d’une once de fiction. Le cocher H.G. Wells, l’hôte « biblio-phrénologue » Lovecraft, les livres rares et… la collection de crânes cirés portant mentions manuscrites.
Loin de la vanité baroque en laquelle voisinent couramment livres et crânes humains, le rapport s’inverse ici comme dans une messe noire, le luciférien prenant le pas sur la paix des tombeaux.
Éric Poindron écrit avec une habileté, une souplesse déconcertantes : graduellement, son récit avance et, sans coup férir, bascule d’une région à une autre, de la route sombre à la librairie, de la salle à manger à la biblio-crânothèque. Aussi le lecteur zigzague-t-il malgré lui de l’appréhension à la crainte, de la stupéfaction à l’horreur. L’auteur manie avec brio un certain illusionnisme stylistique, d’un classicisme mâtiné de références nombreuses qui ne s’interdit ni le croisement ni le dépoussiérage de celles-ci. D’aucuns diraient une forme manifeste de modernité.
 
N’en étant pas à son coup d’essai, Éric Poindron s’est déjà révélé un auteur prolifique. Son blog en témoigne. Il est également un habitué des éditions les Venterniers qui ont fait, avec cette publication, une œuvre admirable, dont il serait injuste de ne pas dire un mot. Car l’opus a bénéficié des soins les plus attentifs, avec un choix vigilant de papiers de bons grammages et deux plats « épaissement » cartonnés qui raviront les bibliophiles soucieux tout autant de leur livre que de leur vanité. La première de couv’, ajourée de six carreaux comme une fenêtre que le lecteur s’apprête à ouvrir sur le verbe, dévoile six crânes rigolards.
Et il y aura de quoi rire ! Parce qu’en dépit de leur souriante hideur, n’aurez-vous pas déjà pénétré leur infernal royaume ?
 
 Le collectionneur de Providence ou Petit traité de crânophilie, suivi de L’affaire John B. Frogg ou Le Mystère de la citation de l’écrivain mystère  de Eric Poindron, éditions les Venterniers, 2016.
 
© David-Georges Picard pour GAUDRIUME LIBRIS / Ingrédients : 100 % de livres, sans conservateur (ou presque)

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