KEROUAC LA ROUTE LA NUIT

TRAIN DE LA SP DANS LA NUIT

L’omnibus – odeur douce
des suies de la nuit – fracas
bing bang du train qui nous
croise – les néons roses
de Calif., le néon verre-
à-cocktail-&-mixeur des
bars – les collines des
lumières du souper – le
tamis des brumes sortant des
trouées brunes – lumières
tamisées – de Redwood City à
Atherton, nuit claire,
propre, avec des étoiles magiques
chevauchant l’obscurité au-dessus des
maisons de la terre
ferroviaire – temps d’abondance –
Je dois croire dans la vie
des gens & l’histoire de
leur réalité – Je dois
devenir historien –

observer l’histoire de la société
& écrire les histoires du monde
dans une prose sauvage hallucinée
– mais un enregistrement des
anges pour personnaliser tous les
endroits hantés que j’ai
vus, écrit pour les anges
pas pour les éditeurs & les lecteurs
– l’histoire complète de
ma vie intérieure complète,
aussi – Gémissement du
train, tchou tchou tchou de la
vapeur de la locomotive quand
ils ouvrent une porte de la plate-forme
freins retenant le train,
vieux wagon décoré marron-vert
oscillant – Sièges bruns
à la surface collante –
Maisons californiennes latinos
coquettement dessinées & Laveries
automatiques & épiceries ultra-modernes
dans le noir feuillu –

funérariums anonymes en
briques neuves ou serres végétales
ou usines de distribution des eaux
avec leurs blindages – Oh vieux train,
gémis pour mon retour à Lowell,
gémis pour mon Lowell, fais
que mon Lowell soit mon seul lieu
de retour – […]

Jack Kerouac, Livre des Esquisses, 1952-1954, Traduction de lucien Suel.

« Jack Kerouac se comparait à un musicien de jazz soufflant son solo. Dans ce recueil, il se présente, sur la route, entre New York et San Francisco, au Mexique ou au Maroc, ou encore de Paris à Londres, crayonnant des esquisses en mots ; poète, musicien et peintre. On l’imagine entre 1952 & 1954, avec sa chemise à carreaux, sortant de sa poche de poitrine un carnet, notant, pressé d’écrire pour capturer le moment, saisir ce qui se déroule ou se repose devant ses yeux, apparemment sans effort, «esquissant» pour unifier sa vision de l’Amérique, une série d’ajouts à la tapisserie de sa prose spontanée. […]On découvre […] des confessions candides, les résolutions d’un écrivain, la recherche du salut, contemplation ou ivrognerie, des hommages à Wolfe, Melville, Lawrence, Dostoïevski […] Mais d’abord, les esquisses, le visage de la terre, la vie quotidienne en Caroline du Nord chez sa sœur Nin, le travail du serre-freins dans les dépôts de chemins de fer, l’automne immense qui bourdonne, les bruits dans les bois, les gens dans la rue, les filles, le vin, l’herbe, images de l’Amérique d’après-guerre, orage approchant, plumes d’oiseaux, entrepôts, brindilles, métro de New York, cabanes, bars, anges, jeunes garçons noirs de l’éternité, petites plantes malingres sur les châssis de fenêtres, mendiants mexicains, camions, lumières, tout magnifiquement présent… » Lucien Suel, Prière d’insérer

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